1. Introduction
- Contexte législatif sur les relations distributeur/fournisseur en France
- Éclairage pour un négociateur de la loi Descrozaille (Mars 2023)
2. Préambule
- Élargissement du champ d’application de la loi
- Exclusion des grossistes avec un statut spécifique
- Nouvelles obligations administratives
- Modification des règles sur les pénalités logistiques
- Statut d’ordre public pour les dispositions de la loi
3. Article 9 de la Loi Descrozaille
- Application du principe de négociation de bonne foi
- Sanctions en cas de non-respect de la bonne foi
- Possibilité pour le fournisseur de mettre fin à la relation en cas de non-conclusion d’une convention avant le 1er mars
- Option pour le fournisseur de demander l’application d’un préavis avec médiation possible
4. Rompre unilatéralement et en toute légalité la relation commerciale avec son client, une arme de papier ?
- Analyse des conséquences pratiques de l’article trois de la loi Descrozaille
- Utilisation de la rupture de la relation commerciale comme une « arme de papier »
5. Volonté de s’en servir
- Importance de la bonne foi dans la négociation
- Conditions nécessaires pour utiliser la rupture unilatérale comme une arme
Introduction
Contexte législatif sur les relations distributeur/fournisseur en France
Nous sommes le pays en Europe qui a le plus légiféré sur la relation entre distributeur et fournisseur depuis 15 ans. Cependant, les lois Egalim 1 et 2, qui visaient à équilibrer les relations commerciales de la production à la distribution finale, ont révélé des insuffisances selon le législateur. Pour remédier à ces lacunes, le processus législatif a conduit à la nouvelle loi Descrozaille (Mars 2023). Cette loi a pour objectif de proroger certaines mesures provisoires, de remédier à certains manques et de mettre en place de nouvelles mesures expérimentales afin de renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
Éclairage pour un négociateur de la loi Descrozaille (Mars 2023)
De nombreuses conférences ont déjà eu lieu pour discuter des différents articles de loi relatifs à la négociation commerciale et de nombreux articles ont été rédigés sur ce sujet. Toutefois, l’objectif de cet écrit est d’offrir un éclairage opérationnel en tant que négociateurs.
Préambule
La loi Descrozaille, d’un côté élargit le champ d’application des dispositions au-delà des produits alimentaires pour inclure tous les produits de grande consommation, tandis qu’elle restreint ce champ en excluant les grossistes du dispositif et en leur accordant un statut spécifique dans la chaîne de distribution (article 19). Elle ajoute également une charge administrative supplémentaire en exigeant des déclarations à transmettre à l’administration (article 15), modifie les règles régissant l’application des pénalités logistiques (articles 12, 13 et 14) et accorde finalement un statut d’ordre public à l’ensemble des dispositions, conférant ainsi aux juridictions françaises une compétence exclusive en matière internationale pour leur application (article 1).
Article 9 de la Loi Descrozaille
Application du principe de négociation de bonne foi
Nous avons décidé de nous concentrer sur l’article 9, qui comporte deux innovations importantes qui ont un impact majeur en négociation :
Premièrement, cette disposition applique le principe de négociation de bonne foi. Il est important de noter qu’en droit français, le principe de bonne foi demeure un élément central et incontournable. L’insertion dans l’article 9 ne s’applique qu’aux relations entre les fournisseurs et les distributeurs de produits de grande consommation.
Sanctions en cas de non-respect de la bonne foi
Désormais, si une partie ne négocie pas de bonne foi (conformément à l’article L. 441-4 du Code de commerce) et que cela entraîne l’absence de conclusion d’un contrat avant la date limite prévue du 1er Mars, elle pourrait voir sa responsabilité engagée avec des pénalités pouvant atteindre 5% du CA réalisé en France.
Possibilité pour le fournisseur de mettre fin à la relation en cas de non-conclusion d’une convention avant le 1er mars
Deuxièmement, à titre expérimental pour une durée de trois ans, en cas de non-conclusion de la convention unique avant le 1er mars, le fournisseur a le choix de mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier ne puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale, ou de demander l’application d’un préavis conforme aux dispositions du Code de commerce.
Option pour le fournisseur de demander l’application d’un préavis avec médiation possible
Les parties peuvent également saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou des entreprises afin de conclure un accord fixant les conditions du préavis avant le 1er avril. Si elles parviennent à un accord, le prix convenu s’applique rétroactivement à compter du 1er mars. En cas de désaccord, le fournisseur peut mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur sans qu’il ne puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ou l’application d’un préavis.
Rompre unilatéralement et en toute légalité la relation commerciale avec son client, une arme de papier ?
Analyse des conséquences pratiques de l’article trois de la loi Descrozaille
« Dura lex, sed lex » disait-on sous la Rome antique. Que la disposition de l’article trois de la loi dite Descrozaille plaise ou déplaise, elle est, et doit être respectée. Il est donc utile de comprendre quelles sont les conséquences pratiques de cette disposition pour les parties à la négociation.
En préambule, disons qu’à première vue il s’agit d’une arme de destruction massive à la disposition unique du fournisseur dont l’effet de dissuasion déséquilibre profondément le rapport de force entre les parties ; lorsque l’on analyse ce dernier sous l’angle de la nuisance que l’une peut exercer à l’encontre de l’autre. En effet, décider unilatéralement, sans préavis ou presque, et en toute légalité de rompre les relations commerciales avec son client distributeur, donne une capacité de nuisance majeure nouvelle, la plus importante qui soit, à la seule disposition du fournisseur.
Utilisation de la rupture de la relation commerciale comme une « arme de papier »
Cependant, se limiter à ce constat serait une analyse partielle et imprécise de l’impact de la loi. En effet, la capacité de causer des nuisances importantes ne garantit pas nécessairement l’intention de les utiliser, ni ne prend en compte les effets secondaires de cette nuisance. De plus, les conséquences de son utilisation sur la reprise des relations et les conditions qui l’entourent sont inconnues. Il est donc nécessaire de replacer cette loi dans un contexte plus large, en tant qu’élément d’un dispositif complet aux effets systémiques. C’est ce que nous allons tenter d’éclairer ci-dessous.
Volonté de s’en servir
Importance de la bonne foi dans la négociation
Tout négociateur avisé engage de bonne foi sa négociation pour tenter d’aboutir à un compromis avec l’autre et non pas dans le but d’échouer afin de justifier l’usage de la force. La bonne foi est un principe fondamental juridique en négociation, renforcé par l’article 9 qui oppose des sanctions en cas de non-respect de ce principe. C’est à se demander si la pratique actuelle dans le monde des PGC en avait besoin…
Conditions nécessaires pour utiliser la rupture unilatérale comme une arme
En effet, cette capacité de nuisance ne pourrait être considérée comme une arme, puisqu’elle n’est pas destinée à être utilisée pendant la négociation. C’est plutôt un choix que le fournisseur peut faire si la négociation échoue : soit rompre les relations commerciales, soit négocier les conditions d’un préavis. Cette situation peut alors se répéter indéfiniment, avec pour conséquence la fermeture des ambassades et potentiellement la guerre, ou bien la poursuite des négociations sous conditions pour éviter l’irréparable. S’en servir implique donc :
1. L’échec des négociations
2. Avoir l’intérêt à le faire (nous y reviendrons plus loin)
3. En avoir la volonté. Cette volonté relève essentiellement de la culture belliqueuse des relations qui n’est pas la caractéristique dominante des fournisseurs.
Nous laissons au lecteur le loisir de se faire par lui-même une idée sur le choix que le fournisseur ferait en pareil cas.
Découvrez la deuxième partie de l’article sur la loi Descrozaille (mars 2023), cliquez ici.