6. Effets collatéraux
- Conséquences de la rupture de la relation commerciale pour le distributeur et le fournisseur
- Analyse microéconomique de la perte de chiffre d’affaires
- Impact sur les coûts fixes et la rentabilité
7. Analyse du rapport de force
- Rapport de force favorable au distributeur
- Rapport de force favorable au fournisseur
- Rapport de force équilibré à enjeu faible
- Rapport de force équilibré à fort enjeu
8. Quid de la reprise des relations ?
- Possibilité de reprendre la relation après une rupture
- Conditions nécessaires pour une reprise de relation réussie
9. Effets systémiques
10. Conclusion
- Conséquence n°1 : une pression à l’accord accrue
- Conséquence n°2 : responsabilisation imposée aux parties
Effets collatéraux
Conséquences de la rupture de la relation commerciale pour le distributeur et le fournisseur
La rupture de la relation commerciale a des conséquences pour le distributeur puisqu’il ne recevra plus les produits qu’il commandait auparavant. Cela a également des répercussions sur le fournisseur qui perdrait le chiffre d’affaires réalisé avec ce client.
Analyse microéconomique de la perte de chiffre d’affaires
D’un point de vue microéconomique, le chiffre d’affaires permet de générer une marge commerciale en soustrayant du produit de la vente les coûts associés à l’activité. Perdre du chiffre d’affaires signifie donc perdre la marge qui y est associée. Si cette marge est trop faible ou négative, la perte peut être limitée, voire bénéfique.
Impact sur les coûts fixes et la rentabilité
Le chiffre d’affaires permet également de couvrir les coûts fixes, comme les salaires, qui restent à la charge de l’entreprise même en cas de réduction d’activité. C’est la nature même des coûts fixes. En plus de devoir faire face au choix difficile de perdre du chiffre d’affaires dans une situation économique quasi stagnante en euros constants (hors inflation), cette perte entraîne une hausse de la part des coûts fixes répartis sur un chiffre d’affaires réduit, ce qui réduit de facto la rentabilité de l’activité en pourcentage. C’est le double effet « kiss cool » : perdre du chiffre d’affaires et réduire la rentabilité. C’est comme choisir entre subir une amputation ou la gangrène dans une telle situation.
Analyse du rapport de force
Analysons les éléments sous l’angle de ce que l’on appelle couramment le rapport de force. Pour simplifier, disons qu’il s’agit du rapport de dépendance mutuelle et/ou de l’attractivité mutuelle, souvent analysée au moyen de la part de marché relative sur le secteur considéré.
Rapport de force favorable au distributeur
C’est le cas de la majorité des distributeurs vis-à-vis des PME et des industriels agroalimentaires locaux. Il est courant de voir des PME de 20 à 300M€ de CA commercer avec les géants de la distribution qui représentent une partie significative de leurs débouchés. Dans un tel cas, rompre la relation commerciale est, sinon un suicide, une amputation majeure obligeant à une restructuration profonde de l’activité. La nuisance est immense pour l’industriel dont l’activité globale s’en trouve réduite à d’autant en totale disproportion avec les conséquences qu’une telle décision peut avoir pour le distributeur qui lui ne perd le CA que sur le secteur concerné. On objectera que le distributeur ne peut se désengager rapidement d’un fournisseur en situation de dépendance, mais cette même situation de dépendance du fournisseur à l’égard de son client donne le pouvoir à ce dernier de négocier des conditions qui lui sont plutôt avantageuses. Que ceux qui contestent le fait le prouvent ! Dans ce cas, quel industriel est volontaire pour se suicider ?
Rapport de force favorable au fournisseur
Les géants de l’agroalimentaire et des produits de grande consommation (PGC), qui sont des multinationales leaders sur leur marché et possèdent de multiples marques incontournables, sont présents sur presque tous les segments de marché, allant des produits frais aux couches pour bébé, en passant par l’hygiène féminine, les sodas, les plats cuisinés et les piles alcalines. Dans ce cas, la question ne se pose pas en des termes très différents qu’actuellement, car la puissance de ces fournisseurs est telle qu’ils ont déjà la capacité de résister à leurs clients et de négocier des conditions équilibrées voire qui leur sont plutôt favorables. Il est important de noter que la loi Descrozaille prévoit une disposition importante qui rend les deux parties coresponsables en cas de traitement différencié non expliqué, ce qui vient largement contrebalancer l’effet dissuasif de la rupture unilatérale de la relation commerciale en cas d’échec des négociations au 1er mars. Par conséquent, il est peu probable que ce deuxième cas entraîne des changements majeurs.
Rapport de force équilibré à enjeu faible
C’est le « combat de nains », aucun ne pouvant nuire beaucoup à l’autre. Dans ce cas, la rupture de relation n’aura que peu d’effet, ni pour le fournisseur qui ne perdra qu’une faible partie de son CA, ni pour le distributeur qui trouvera facilement à substituer les produits de son fournisseur belliqueux par ceux d’un de ses concurrents. Là non plus il n’y a pas à crier « au loup ! ».
Rapport de force équilibré à fort enjeu
C’est le cas le plus intéressant, celui des majors précités et des leaders de la distribution qui « pèsent » entre 17 et 23% du marché en France. Dans ce cas, à première vue le distributeur pourrait craindre de son fournisseur qu’il n’use de cette nuisance bien réelle au coût économique élevé pour lui. La perte de 30 ou 40% de son CA sur le secteur concerné représente un coût important doublé d’une perte élevée car il n’a pas pour lui un coût immense sans réelle possibilité de substitution par les produits de ses concurrents ou par ceux à sa propre marque. Coût économique mais aussi coût d’image. Pour le fournisseur cela impliquerait de perdre ce même CA réalisé avec un client important sans réelle possibilité non plus de le compenser chez ses autres clients. Jeu de perdants donc, en cas d’usage d’une telle mesure. Seule une analyse au cas par cas permettrait d’évaluer la possibilité réelle de son usage.
Quid de la reprise des relations ?
Possibilité de reprendre la relation après une rupture
La rupture de la relation commerciale peut être définitive. Après un temps d’arrêt, l’une ou l’autre des parties peut aussi décider de renouer une relation en en prenant l’initiative. Ce qui compte alors, c’est de savoir qui le ferait et sur quelles bases. À la première question, on répondra que c’est naturellement la partie qui aurait le plus souffert de la rupture ou qui aurait le plus intérêt à renouer. Ce peut être l’une ou l’autre, car l’intérêt peut évoluer fortement entre le moment de la rupture et celui de la reprise de la relation. Concernant la seconde, on dira que les conditions proposées par la partie qui en prend l’initiative devront être suffisamment attractives pour que l’autre accepte de renouer. Donc a priori meilleures pour l’autre que celles qui ont entraîné la rupture par le fournisseur.
Conditions nécessaires pour une reprise de relation réussie
Si le fournisseur revenait vers son client pour renouer une relation commerciale qu’il a lui-même rompue, il ne pourrait le faire avec des chances réelles de succès qu’en proposant des conditions meilleures pour son client que celles qui existaient au moment de la rupture. Cela l’amènerait à se condamner deux fois : une première fois en supportant les conséquences de la rupture avec son client (trop coûteuse puisqu’il prend l’initiative de renouer) et une seconde fois en devant proposer des conditions meilleures pour renouer avec lui. On voit bien que la décision a une portée bien plus grande que la seule rupture au temps « t » de la relation. Elle doit être prise dans un cadre plus large, celui de l’avenir de la relation. C’est une question de stratégie de relation qui échappe par nature à la responsabilité du négociateur.
Effets systémiques
Bizarrement, c’est l’amende infligée aux deux parties n’ayant pu s’accorder au 1er mars qui semble le plus dangereux : elle s’élève à 1M€, doublée en cas de récidive. À titre de comparaison rapide, sur un CA HT de 100M€ elle représente 1% de réduction de tarif. Sur un CA HT de 20M€, 5% ! C’est très souvent beaucoup plus que l’écart résiduel entre les positions des deux parties après deux, voire trois mois de discussions acharnées (à l’exception faite dans certains cas ces deux dernières années). Cette disposition inscrite dans l’article 10 de la loi est beaucoup plus dangereuse car très coûteuse, automatique et applicable aux deux parties : c’est une véritable correction infligée aux mauvais élèves, très dissuasive. On voit donc que la seule amende pourra dans un grand nombre de cas, justifier un effort ultime de la part des deux parties pour y échapper et rendre inutile la rupture !
En conclusion
On peut dire objectivement que l’article qui a tant fait parler, ne pourrait finalement être qu’un leurre, au regard des deux autres dispositions évoquées ci-dessus que sont :
– La pénalité due par les deux parties si elles ne concluent pas d’accord au 1er mars
– L’obligation pour les deux de prouver une éventuelle différenciation de conditions vis-à-vis de leurs concurrents.
Quoi qu’il en soit, il y a deux conséquences majeures à ces dispositions :
Conséquence n°1 : une pression à l’accord accrue
Une pression à l’accord accrue à un niveau jamais atteint jusque-là. On peut regretter l’intrusion sans cesse plus grande des pouvoirs publics dans le jeu commercial, mais c’est un fait. On répondra que si les parties ne se comportent pas de façon suffisamment responsable pour s’entendre, il faut bien que comme lors d’une dispute entre deux enfants, les parents interviennent pour éviter que la bagarre ne dégénère.
Pression à l’accord pour la raison évoquée plus haut qui s’exerce sur les deux parties, certes pour des raisons différentes. Ainsi elle rééquilibre le jeu qui jusqu’à présent permettait au seul distributeur de jouer du déréférencement, parfois préventif, pour accroître le coût d’un désaccord persistant pour son fournisseur.
Conséquence n°2
La seconde est la responsabilisation qu’elle impose aux parties. Du côté de la distribution, la hiérarchie achats devra faire prendre conscience aux acheteurs de l’enjeu majeur que représente l’acceptation par les fournisseurs de demandes parfois sans fondement ou uniquement sous l’angle de la concurrence que les distributeurs se font entre eux. Du point de vue des commerciaux, elle imposera à leur hiérarchie de ne pas plier par peur du déréférencement face aux exigences des distributeurs. Cela fait des années que les directions commerciales n’osent pas taper du poing sur la table, refuser par principe le diktat de certains de leurs clients et dénoncer ouvertement les agissements d’autres préférant accepter des conditions, à les en croire, toujours plus appauvrissantes. La responsabilité que les parties doivent retrouver ou acquérir est que le fournisseur n’est pas l’adversaire du distributeur; l’adversaire du distributeur est son concurrent. Son fournisseur est son meilleur allié. À condition de le considérer, de le traiter et de l’utiliser comme tel. C’est cette révolution-là, d’une portée infiniment supérieure à une 3ème loi EGALIM qui doit se faire. Aucune loi ne pourra pousser les acteurs économiques à responsabiliser leurs pratiques et à dépasser le marchandage transactionnel fondé sur le seul rapport de force qui est délétère, à court terme et appauvrissant. Il est nécessaire de permettre une meilleure coordination entre les acteurs de la chaîne de valeur, une meilleure compréhension des besoins et des contraintes de chaque partie, ainsi qu’un partage des risques et des bénéfices pas obligatoirement monétaire, à travers la coopétition verticale entre distributeur et fournisseur.